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Design et économie responsable

On a beaucoup parlé durant cette dernière décennie d’éco-design, une branche du design d’objet très axée sur la recherche de matériaux issus de productions responsables (bois, caoutchouc, métal etc.), sur les questions de respect de l’humain dans le processus de création.
Pour Yannick Roualec, le design est écolo par définition. C’est même bien souvent une des raisons qui poussent ses clients à passer la porte d’Arte Diem, un magasin incontournable de 700 m2 situé en plein cœur de ville.

Yannick Roualec est un passionné d’art dans sa définition la plus large : beaux-arts, création contemporaine, jazz, théâtre, design. C’est un grand lecteur aussi. Il aime les polars, les bouquins d’art, il a le goût de la découverte. Il réfléchit au sens du monde, au sens qu’il veut donner aux choses.

Un parcours atypique

Yannick Roualec ne se prédestinait pas à des études d’art ; c’est dans un lycée technique agricole du nord de la France qu’il se retrouve après la troisième. Pas vraiment à sa place. Il en a conscience dès la première semaine de cours. Il passe son Bac Professionnel, cherche à s’orienter vers une formation d’éducateur sportif pour devenir prof de tennis, et puis, finalement, passe un bac B.
Entre-temps, Yannick a pris conscience de son appétit pour l’Art. Ses réflexions le mènent à Paris, où il intègre l’École Supérieure Internationale d’Art et Gestion.

Première entreprise à Paris

Yannick Roualec a le goût de l’indépendance : il installe sa première entreprise à Paris et propose aux Musées la création d’objets pour leurs boutiques (Réunion des Musées Nationaux, Musée de la Poste, Musée des Invalides, Paris Musées etc.), et des séries limitées pour des marques (Zippo avec une série Art Contemporain créée par Joël Ducorroy, Jérôme Mesnager, Miguel Chevalier) ; il rencontre les designers Catherine et Sigolène à l’origine de la marque Tsé Tsé… Il s’intéresse au travail de Ronan et Erwan Bouroullec. Il exposera plus tard leurs talents dans son magasin de Morlaix.

Le choix d’une implantation en centre ville

« J’ai besoin que ça bouge, que ça avance, d’avoir des projets en permanence. J’avais une attirance particulière pour la région, pas uniquement parce que j’en suis originaire, aussi pour des attachements culturels ; encore étudiant, j’avais monté une expo à Paris sur le peintre Maurice le Scouëzec pour lequel j’ai une grande admiration, c’était un projet passionnant ; 3000 œuvres avaient été retrouvées dans un grenier de Brasparts, il fallait les rendre publiques. Je crois que ce travail a renforcé ce lien avec le Pays de Morlaix »

En 1996, Yannick, originaire de l’île de Batz, recherche une ville bretonne où concrétiser un nouveau projet. Il fait le tour des villes du Finistère ; c’est important pour lui de s’implanter en centre ville, c’est le premier signe de son engagement éco-responsable.
C’est rue d’Aiguillon qu’il ouvre sa première boutique morlaisienne en novembre 1996. La boutique présente une sélection d’objets.

Très rapidement, il est contacté par des marques de mobilier comme Kartell. Il prend conscience de l’existence d’un marché de conseil puis étoffe son catalogue avec des fournisseurs de mobilier comme Ligne Roset, Vitra, Fermob, Gervasoni…de grandes marques européennes qui fabriquent en local.

Un nouvel espace : un chantier écolo

En 2007, c’est l’installation place Allende. Il faut transformer cette succession de petits bureaux en un grand espace, pour lui donner un aspect presque industriel. Yannick recherche à redonner au lieu une certaine forme d’authenticité esthétique : il refuse le placo et la peinture pour laisser le lieu vivre de son passé.

Dans la montée d’escalier, les entreprises proposent de déshabiller les murs de leur vieux revêtement puis de reposer du placo. Yannick Roualec refuse l’utilisation de matériaux polluants ; il va conserver l’aspect des murs tels qu’il les trouve.

En 2007, on parle encore assez peu de recyclage sur les chantiers. La question commence tout juste à se faire entendre dans les médias, mais les habitudes n’ont pas encore beaucoup changé. Le chantier d’Arte Diem est qualifié par la presse « d’exemplaire » au niveau du recyclage des déchets.

Un choix de fournisseurs éco-responsables

« L’objet design, c’est presque toujours un objet économiquement responsable. Mes clients posent parfois la question de la provenance du produit ; je vois récemment émerger une très forte demande sur le MADE IN FRANCE »

Yannick Roualec l’a vraiment ressentie cette évolution, cette prise de conscience écologique des clients. D’année en année, ils ont commencé à poser de plus en plus fréquemment des questions relatives à la traçabilité, aux matériaux utilisés. Aujourd’hui, c’est devenu une évidence : l’objet design est écologique. Mais au delà de ses qualités esthétiques et environnementales, il est désormais question de proximité de fabrication.

Quelques exemples :

Cette bibliothèque KAO est conçue et fabriquée par Drugeot dans du chêne de pays 100% massif en Anjou.

Drugeot, c’est une entreprise familiale en Anjou. Le père déjà, passionné de bois, oriente l’activité de son entreprise vers la fabrication de meubles en bois massif. Ses deux fils, en reprenant l’entreprise en 2000, apportent un nouveau souffle résolument contemporain en faisant appel à des designers français.

La gamme de broches Solar de Constance Guisset, un pur produit français.

80 % des chaussettes Bonne Maison sont fabriquées en France, grâce à un partenariat entre la marque et un fabricant traditionnel français qui a permis de créer un produit de très grande qualité.
Les 20 % restants sont produits en Italie. La marque revendique son éco-responsabilité.

Les produits Andrée Jardin sont fabriqués de façon artisanale à Nantes, avec du bois local, issu de forêts gérées durablement, que ce soit pour le hêtre ou le frêne thermo chauffé.

Omy, c’est l’histoire de deux illustratrices, Elvire et Marie-Cerise. Tous leurs modèles de coloriages XXL sont créés à Paris et imprimés à quelques kilomètres de leur bureau, parce que pour elles, le respect de l’environnement et le soutien de l’économie locale, c’est vital.

Dans la bibliothèque de Yannick Roualec

J’ai demandé à Yannick Roualec de me citer quelques-uns de ses livres de chevet, en relation avec son métier, ses passions. « Tous ces ouvrages apportent un regard différent et purement subjectif sur l’art ou le design ».

La laideur se vend mal de Raymond Loewy, un grand designer d’objet, de publicité, d’automobile. On lui doit notamment le logo de la biscuiterie nantaise LU, des paquets de cigarette Lucky Strike ou bien encore de Monoprix ou l’Oréal.
Collection Tel chez Gallimard
Frederico Zeri décrypte les images pour en donner les plus intimes significations.
Editions Rivages
Panorama de l’Art Contemporain en France de 1960 à 2000, par Catherine Millet, co-fondatrice de la revue ArtPress.
Collection Champs Art chez Flammarion
Autobiographie de Charlotte Perriand, avant-gardiste, qui a signé une série de meubles révolutionnaires qui traversent les époques avec toujours le même succès.
Éditions Odile Jacob

Rencontre de Roland Barthes et Cy Twombly au Café de Flore en 1975, deux textes qui parlent de cet entretien.
Collection Fiction & Cie, Éditions Seuil

Bleuenn Seveno, designer textile bretonne

J’ai longuement discuté un soir avec Bleuenn, au Tempo*. Elle avait lu l’un de mes articles de blog, je crois qu’elle s’est un peu reconnue aussi dans mon histoire personnelle. Elle m’a parlé de patrimoine, d’héritage culturel, de sa vie, de son histoire et de l’influence du patrimoine breton dans son travail. On a décidé de se revoir pour échanger plus longuement.

*Le Tempo est un restaurant-bar situé sur le port de Morlaix. On y mange bien, on y fait toujours de belles rencontres.

Bleuenn Seveno est designer textile, elle est une de ces créatrices en permanente ébullition intellectuelle ; son œil s’attarde toujours, partout, sur ce qui l’entoure. Et ce qui l’entoure, c’est la Bretagne, avec tout ce qu’elle comprend, pas que le vêtement breton, non, ce serait trop réducteur, le motif aussi, la voile de bateau traditionnel, le chapiteau d’un enclos, le bois sculpté d’une cuillère ancienne… elle entend s’en nourrir tout en apportant à son travail une dimension contemporaine, voire intemporelle, parce que Bleuenn a ça en commun avec moi, un goût pour la beauté des choses simples, pour l’élégance qui s’en dégage.

La Bretagne inspire la haute couture

Je connais mal le métier de designer textile. Quant à mes connaissances relatives au vêtement traditionnel breton, elles sont assez limitées.
Bleuenn va m’initier à cette culture, me présenter le travail des créateurs qui s’en inspirent.
Elle évoque Jean-Paul Gauthier, elle me montre des photos de cette fameuse collection dessinée par ce grand nom de la haute-couture ; la maille, la dentelle, le velours, la rayure, la broderie de fil d’or, rien n’est oublié dans ce travail d’orfèvre. Du vêtement traditionnel breton, il a su retranscrire le folklore, l’exubérance des éléments avec des exagérations de volumes ou des contrastes inattendus de matières. Il est comme ça, Jean-Paul Gauthier, il aime ce qui déménage !

« C’est extraordinaire que la Bretagne et le vêtement breton inspirent les plus grands noms , et je ne suis pas étonnée vu la richesse de notre patrimoine ! »

Couverture de la revue Ar Men. Le dossier de ce numéro de mars-avril 2016 porte sur l’inspiration de la culture bretonne dans le design. Alors, oui, évidemment, Jean-Paul Gauthier est un sujet incontournable. Mais Bleuenn Seveno y est aussi mentionnée comme une référence de la mode en Bretagne.

Au gré de la conversation, Bleuenn Seveno me montre le travail de Mathias Ouvrard , Nolwenn Faligot, Pascal Jaouen… on regarde ensemble des photos de leurs créations, on s’attarde un peu sur le travail de Val Piriou.
Avec un nom pareil, elle est forcément un peu bretonne ! C’est la « Lady Bigoude » de la haute couture. Val Piriou est assez méconnue en France, alors qu’elle a acquis une notoriété étonnante au Japon, au Royaume-Uni et en Italie. Son travail allie la modernité des techniques (zip, matières élastiques, lycra, etc.) à des références plus traditionnelles qui viennent agrémenter le vêtement de couleurs et motifs bidoudens. Elle fait parfois usage de matières étonnantes comme la dentelle de corde, le raphia et même le plastique.
En savoir + sur Val Piriou

En 2010, Les Champs Libres consacrent une exposition à la créatrice bretonne Val Piriou.

Bleuenn Seveno, reconnue au Musée Départemental Breton

Le développement récent de la collection textile du Musée a désormais pris en compte la création de stylistes inspirés par les modes traditionnelles (Val Piriou, Pascal Jaouen, Bleuenn Seveno, Mathias Ouvrard, etc.)

Source : site web du musée départemental breton
Les planches d’études de Bleuenn Seveno sont exposées au Musée Départemental Breton à Quimper. Ici, photographie de son travail de recherches de fin d’études datant de la fin des années 90.

Dans les coulisses du Musée Départemental Breton à Quimper, il y a de précieuses archives. En voici deux exemples, ils illustrent avec pertinence l’esprit Bleuenn Seveno : une inspiration puisée dans le vêtement traditionnel, avec des recherches de matières, de textures et de formes empruntées au passé qui trouvent un équilibre harmonieux dans la réalité du présent : un vêtement facile à porter, toujours élégant, qui tient compte des exigences d’une vie moderne.

Tunique bustier avec un top en cache-coeur.
© Bleuenn Seveno – Collections du Musée Départemental Breton
Bustier et jupe modulable. La matière et la couleur de la jupe rappellent les voiles des bateaux traditionnels bretons.
© Bleuenn Seveno – Collections du Musée Départemental Breton

Techniques de fabrication

Le patrimoine passe aussi par des choix de techniques de fabrication traditionnelle. En Bretagne, on est bien attaché au made in France, voire carrément au made in BZH. Alors, il existe des manufactures plus ou moins importantes qui travaillent la maille, Bleuenn les connaît toutes : Le Minor à Guidel, Roc’han Maille à Rohan (Morbihan), Real Stamm à la Regrippière (du côté de Nantes). Un marché sur une voie ascendante qui revendique un maintien de l’emploi en local, qui garantit un savoir-faire traditionnel de qualité, qui développe son activité en accord avec ses valeurs de développement durable.
C’est même tellement porteur que E. Leclerc a créé sa propre marque dans l’Ouest, Breizh Mod, pour laquelle Bleuenn travaille depuis sa création, elle a même toute une page sur le site de Breizh Mod qui lui est dédiée !

Ce pull en laine Mérinos est confectionné selon la technique du point de Rome. Il est fabriqué par Real Stamm, tout près de Nantes à La Regrippière. Selon Bleuenn Seveno, la rayure, c’est l’ADN du pull breton. Elle adore la travailler, la réinventer, la détourner. ©Création Bleuenn Seveno pour Breizh Mod, Photographie de Maïwenn Nicolas.

Dans la bibliothèque de Bleuenn Seveno

Voici quelques ouvrages de référence que Bleuenn Seveno a décortiqués de long en large !

Le Costume Breton- R-Y Creston, Editions Tchou
Le Minor-Armel Morgant, Editions Coop Breizh.
Seiz Breur – Editions Locus Solus.
Costumes Bretons – François Hippolyte Lalaisse. Editions Bibliothèque de l’Image

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